Histoire de St-Viateur
Histoire chronologique de la paroisse de Limoges
Historical Chronology of Limoges Parish
I. Origines glorieuses de l’Église de Lyon
Vers la fin du IVe siècle, l’Église de Lyon était déjà célèbre : le christianisme y avait été introduit par saint Pothin, disciple de saint Polycarpe, qui le fut lui-même de l’Apôtre Jean.
Les persécutions se firent sentir à Lyon comme partout ailleurs. En 177, sous Marc Aurèle, Pothin subit le martyre avec un grand nombre de femmes et d’enfants, parmi lesquels on signale Blandine, jeune et héroïque esclave. Peu après, sous Septime Sévère, ce fut l’illustre évêque saint Irénée qui affronta les douleurs du martyre avec non moins de courage, en compagnie de milliers de chrétiens.
En l’année 313, l’empereur Constantin mit fin aux persécutions générales en signant l’édit de Milan. A partir de ce moment, on commença à bâtir de superbes et vastes basiliques. Sous leurs voûtes majestueuses, de longues théories de clercs se déroulent au sein des assemblées toujours plus fréquentes et plus nombreuses.
Pourtant le paganisme n’avait pas encore totalement disparu ; même à Lyon, les païens adoraient encore les faux dieux. La ville haute, la colline de Fourvière, était couverte de temples, de prétoires, de colonnades, de statues de tous les dieux qui avaient pour mission de protéger la Gaule impériale ; et les fêtes païennes étaient le scandale de la jeunesse. De l’autre côté de la Saône, la ville basse comprenait le port avec tout un encombrement de maisons de pierres, de briques ou de bois, sans plan, sans harmonie et sans beauté.
Là surtout vivant le peuple chrétien…
II. Enfance de Saint-Viateur
Vers l’an 350, l’Église de Lyon était gouvernée par un saint évêque, Justus ou Just : doux, modeste, charitable et miséricordieux. Il avait pour disciple « un très saint jeune homme », VIATEUR, de famille chrétienne et aisée.
VIATEUR avait pu s’instruire à l’École Cathédrale de Lyon : C’était un local de fortune, un préau, un portique, ou une galerie ouverte au public. Point de luxe :
Les enfants s’asseyaient sur des bancs ou simplement à terre. Faute de papier, on écrivait, avec un stylet, sur des tablettes de bois enduites de cire ou, avec un roseau taillé, sur du parchemin ou du papyrus.
Lorsqu’il fut un peu plus grand, VIATEUR fréquenta l’École des Lecteurs, créée tout spécialement pour les jeunes enfants qui se destinaient au service des autels.
Déjà, à cet âge, il était d’une piété angélique ; sa modestie et son humilité étaient remarquables ; c’était, de plus, « un enfant d’un excellent caractère ».
III. Saint Viateur Lecteur
À cause de toutes ces vertus, qui en faisaient un enfant vraiment prédestiné, il fut choisi, malgré sa jeunesse, comme Lecteur de la Cathédrale : c’était un grand honneur car, en ces temps troublés, l’Église entourait le choix de ses Clercs de précautions fort judicieuses. N’étaient admis que ceux dont le suffrage populaire attestait la réelle valeur.
À cette époque de piété simple et modeste, l’office de Lecteur n’était pas simplement un degré de passage pour monter au Sacerdoce, mais un état permanent qui réclamait une science profonde et une sainteté remarquable. Des vieillards aussi bien que des jeunes gens appréciaient l’honneur d’y être promus.
L’ordination des Lecteurs avait lieu en présence des chrétiens dont on demandait l’assentiment : c’était une véritable élection. L’évêque remettait ensuite à l’élu le lectionnaire, qui renfermait les textes de la Sainte Écriture qu’il fallait lire aux offices et il lui disait : « Reçois ce livre et sois lecteur de la parole de Dieu, assuré que, si tu remplis fidèlement et utilement tes fonctions, tu auras part à la récompense de ceux qui ont annoncé la doctrine du Seigneur. »
Comme Lecteur, VIATEUR devait aussi recueillir les aumônes et les distribuer aux pauvres qui étaient très nombreux en ce temps-là.
« VIATEUR fut grandement aimé de saint Just à cause de ses éminentes vertus », de sa discrétion et de son application au travail ; aussi le prit-il pour son secrétaire et son confident. VIATEUR eut donc à transcrire les actes publics ou privés, et c’est à lui qu’était confiée la garde des Livres sacrés. C’était là une charge importante et honorable qui comportait de réelles responsabilités, quand elle ne présentait pas de sérieux dangers.
Pendant l’office, VIATEUR montait à l’Ambon (sorte de chaire près de l’autel) et lisait les extraits de la Sainte Écriture ; et quand l’évêque prêchait, son Lecteur montait devant lui et lisait le texte sacré ; de son trône, l’évêque l’expliquait ensuite.
Une autre fonction très honorable réservée aux Lecteurs était l’instruction chrétienne en dehors des offices. VIATEUR était donc chargé de faire le catéchisme aux petits enfants des chrétiens, mais il avait aussi à enseigner la doctrine aux païens qui voulaient se convertir et se faire baptiser.
Lorsque les catéchumènes étaient suffisamment préparés, l’évêque, aidé du Lecteur, les baptisait au cours de la nuit qui précédait la fête de Pâques : grande joie pour VIATEUR et digne récompense de son religieux apostolat!
IV. Graves événements
Un incident tragique changea bientôt l’orientation de toute la vie du jeune saint.
Dans un accès de folie furieuse, un habitant de Lyon se précipite dans la rue, l’épée à la main. Il blesse et tue plusieurs passants. Mais voilà que la foule indignée s’attroupe et poursuit le malheureux. Celui-ci se défend avec succès et, le bon sens lui revenant un peu en face du danger, il se sauve dans l’église cathédrale. Or les églises jouissaient alors du droit d’asile, et ceux qui s’y réfugiaient se trouvaient à l’abri de toute contrainte. Le respect du saint lieu arrêta un moment le peuple, mais l’exaspération ne tarda pas à grandir et l’on menaça de mettre le feu à l’église.
L’évêque Justus, prévenu par quelque fidèle, ne tarde pas à arriver pour défendre le sanctuaire ; il s’efforce en vain de calmer les assaillants. Pour contenter la foule
Sans violer le droit d’asile, il demande et obtient de l’un des magistrats de la ville la promesse, sous la foi du serment, qu’il ne sera fait aucun mal au frénétique.
Fort de cette promesse, il le livre alors pour être conduit et gardé en prison.
Mais la populace, n’écoutant que sa colère, se saisit de ce pauvre malheureux, le traîne dans la rue, et, finalement, le massacre sans pitié.
Ce meurtre n’était pas imputable qu’à la population ameutée, et, peut-être, au magistrat qui n’avait pas su prendre les mesures nécessaires pour tenir sa promesse. L’évêque demeurait parfaitement innocent de ce crime. Néanmoins il ne put se pardonner un tel malheur et se considéra désormais comme indigne de l’épiscopat. Il décida de se retirer en quelque solitude lointaine pour y faire pénitence.
Il ne parla de son projet qu’à son ami Viateur, et il partit seul, à la dérobée, au cours de la nuit, suivant les rives du Rhône. Sans être reconnu, il s’achemina vers Marseille, décidé à s’embarquer pour l’Égypte.
V. Viateur suit Just au désert
Mais Viateur avait subi d’une façon trop profonde l’ascendant de son maître pour se résigner à cette cruelle séparation. Il ne pouvait plus se contenter de l’admirer, il résolut de l’imiter et de le suivre. Aussi, sans tarder, il entreprit de le rejoindre à Marseille afin de l’accompagner en exil et d’aller vivre avec lui au désert.
Moins connu que Just, il ne craignit pas de s’embarquer sur un des bateaux qui descendaient le Rhône et rejoignit sur le littoral son père et son bienfaiteur qui s’apprêtaient à passer la mer sur l’un des bateaux faisant voile vers l’Orient.
Le prélat le reçut avec étonnement et voulut même le renvoyer à Lyon, mais Viateur le supplia, se jetant à ses genoux et obtint, à la fin, la permission de le suivre.
À partir de ce moment, la vie des deux saints va se confondre. Plus que jamais ils seront unis par le coeur et plus encore par le même idéal dans le service de Dieu.
Séduits tous deux par la perspective d’une vie plus parfaite, ils montèrent sur un navire en route pour Alexandrie, non sans s’être munis d’abord du viatique le plus nécessaire, la Sainte Eucharistie, qu’il était permis, même aux fidèles, d’emporter avec eux, quand ils entreprenaient un long voyage.
Viateur du trouver bien pénible ce long parcours de Marseille en Égypte, surtout étant donné la composition de l’équipage, car passagers et matelots, presque tous païens, se distinguaient par la brutalité des moeurs et la grossièreté du langage.
La vue de ce vieillard et de cet adolescent, l’un et l’autre si réservés, si dignes, et en même temps si affables, si charitables, commandait la retenue et le respect.
Arrivés en Égypte, terre jadis bénie par le séjour de l’Enfant Jésus exilé, nos deux voyageurs ne s’arrêtèrent pas à satisfaire une vaine curiosité. Que leur importaient les splendeurs de la riche vallée du Nil, ses magnifiques cités, ses superbes pyramides?…
Ils remontèrent le fleuve jusqu’au désert de la Thébaïde et vinrent dans la région de Scété, à cause de la perfection plus grande de ses moines ; ils choisirent aussi cette région parce que, étant plus éloignée de la côte et d’un accès particulièrement difficile, elle était moins visitée et assurait davantage le secret de leur retraite.
C’était une solitude immense, sans chemins, où le voyageur risquait de s’égarer : terre ingrate, stérile, où tout se réunissait pour faire le tourment de l’homme : un soleil brûlant sur la tête, un sable embrasé et mouvant sous les pieds, une eau rare, salée ou fétide. Rien pour le plaisir des yeux ; seulement des plantes aquatiques et quelques bouquets de palmiers sur le bord d’un marécage.
C’était là que des solitaires avaient bâti un monastère des plus fervents de toute l’Égypte. À la porte de ce monastère, se tenait un prêtre apostrophant les voyageurs : « Arrêtez! leur disait-il, on entre ici mais on n’en sort pas! »
VI. Just et Viateur au désert
C’est là précisément qu’allèrent frapper Just et Viateur, se présentant comme de simples chrétiens désireux de se livrer à la pénitence.
Ne voulant accepter aucun traitement de faveur, ils se gardèrent bien de décliner leurs noms et leurs titres ; aussi furent-ils soumis d’abord à toutes les épreuves prescrites par la Règle.
Durant une semaine ils demeurèrent à la porte en attendant que le Supérieur voulût bien les recevoir. À la fin, l’Abbé les admit et leur fit ouvrir la porte du monastère. Tous deux y entrèrent pour y rester jusqu’à leur mort.
Just élut domicile dans une pauvre cellule éloignée de l’église centrale, afin de courir moins le risque d’être reconnu par quelque visiteur venant des Gaules. Viateur seul connaissait son secret, et ne le confiait à personne ; il vivait aussi dans une pauvre cellule assez rapprochée de celle de son évêque.
Les deux saints couchaient sur une couche très dure ou même directement sur la terre nue, et passaient les journées dans la prière ou dans les travaux manuels ; en particulier, ils étaient souvent occupées à fabriquer des nattes qu’on vendait pour subvenir aux besoins du monastère.
Viateur s’occupait aussi à relever et à copier les Livres Saints, car en ce temps-là il n’y avait pas encore d’imprimerie : il fallait donc tout écrire à la main.
Just et Viateur étaient depuis quelque temps dans cette solitude, tout occupés à la sanctification de leur âme, lorsqu’un jour, un pieux voyageur gallo-romain, venu de Lyon pour visiter tous ces monastères du désert, reconnut le saint évêque et son lecteur ainsi déguisés sous le froc des anachorètes.
L’émotion succède à l’étonnement général : tous admirent l’humilité du saint vieillard ; ils s’excusent de n’avoir pas distingué et honoré son caractère épiscopal et de l’avoir laissé dans la foule, parfois même au dernier rang.
À partir de ce jour, les deux saints furent entourés d’égards autant que le permettaient les usages du monastère, mais ils n’en continuèrent pas moins leur vie de prière et de pénitence.
VII. Derniers moments de Just et de Viateur
Accablé sous le poids des années et davantage peut-être sous le fardeau de sa vie laborieuse, Just approchait du terme de son pèlerinage terrestre. Viateur redoublait à son égard ses soins empressés et ses filiales prévenances.
À ses derniers moments, le saint évêque annonça prophétiquement l’arrivée prochaine, et les étapes, jour par jour, du prêtre Antichus que le peuple de Lyon lui déléguait pour le décider à rejoindre sa ville épiscopale où il était impatiemment attendu.
Quant à Viateur, dont les attentions affectueuses demeuraient incapables de prolonger la vie de celui qu’il appelait son maître vénéré et le père de son âme, il assistait consterné à ses suprêmes instants. Sur le point de devenir orphelin, son amour filial laisse échapper ce déchirant cri d’angoisse : « Père, dit-il, les yeux pleins de larmes, pourquoi m’abandonner? À qui me confier désormais? » « Mon fils, ne vous inquiétez pas comme si toute consolation vous était enlevée; vous ne tarderez pas à me suivre où je vais. »
Et le saint vieillard s’endormit dans le Seigneur le 14 octobre.
Désolé de cette irréparable perte, mais réconforté par l’assurance d’une prochaine rencontre au ciel, Viateur rendit pieusement les derniers devoirs à la dépouille du regretté pontife. Une fois encore il baisa ces mains qui tant de fois l’avaient béni. Ensuite, avec l’aide de ses frères, il ensevelit le corps du saint et ne songea plus qu’à aller le rejoindre au paradis.
La prophétie de saint vieillard ne tarda pas à s’accomplir : sept jours seulement après sa mort, le 21 octobre, Viateur rendait lui-même sa belle âme à Dieu.
VIII. Leur sépulcre fut glorieux
Viateur et Just reposèrent côte à côte : on ne voulut pas séparer les restes de ces deux serviteurs de Dieu qui avaient toujours été si intimement unis sur cette terre.
Mais lorsqu’à Lyon on apprit leur mort si édifiante après une vie si héroïque, on voulut à tout pris posséder leurs restes vénérés afin de les honorer comme il convenait ; malgré les sérieuses difficultés que présentait l’entreprise, une députation lyonnaise se hâta de partir pour l’Égypte avec mission de rapporter les ossements des deux saints.
Leurs restes furent donc transportés à Lyon où le peuple les reçu avec de grands honneurs, à la date du 4 août de l’année qui suivit leur mort. On établit même une fête pour commémorer cette arrivée. Ils furent placés dans l’église Saint-Étienne, puis dans l’église des Macchabées au milieu d’une manifestation extraordinaire de joie et de piété.
Le temple qui renfermait le tombeau des deux solitaires fut bientôt le théâtre de nombreux prodiges qui se multiplièrent jusqu’aux guerres de religion, ce qui amena à cette église des foules nombreuses de pèlerins les plus illustres, des évêques et des princes. On y vit même des rois et des papes. L’église qui renfermait ces restes vénérés passa bientôt sous le vocable de Saint-Just.
Malheureusement les protestants qui, par surprise, s’étaient emparés de Lyon, profanèrent ces saintes reliques. Une petite partie seulement put être conservée. À la Révolution, on fut assez heureux pour les soustraire à une nouvelle profanation.